La démocratie qualifiée d'archaïsme
"La manipulation des esprits commence par la colonisation du langage, par l'altération insidieuse du vocabulaire ordinaire du débat public. Le terme "moderne" est l'un des plus intensivement manipulés par les artisans de la Grande Régression; ceux-ci l'ont dépouillé de sa signification historique et philosophique pour étendre jusqu'à l'absurde le sens usuel qui oppose l'actuel à l'ancien et que les dictionnaires résument en substance à l'expression "être de son temps". En ce sens, et dès lors que la victoire politique des néolibéraux a imposé au monde une idéologie et un projets de société dominants, ces derniers sont de facto "modernes" puisque conformes à l'air du temps. Désormais, la "modernité" désignerait donc la qualité des moutons qui font comme tout le monde et des abrutis qui adhèrent sans réfléchir au discours ambiant. L'archaïsme serait a contrario la tare des penseurs et des résistants qui s'opposent à la destruction systématique des progrès sociaux conquis par les peuples justement les plus modernes ! Ce que les néolibéraux appellent "modernisation", c'est l'adaptation des peuples au mouvement naturel et irrépressible de l'histoire que constitueraient la guerre économique mondiale et la marchandisation des sociétés. Rien n'est en réalité plus antimoderne qu'une telle conception de l'histoire. Mais qui le sait encore, après trente ans de contamination de tous les discours par la novlangue néolibérale ?
Il est donc bien nécessaire de rappeler à nos contemporains en quoi consistait la promesse de la modernité en Occident, du siècle de Galilée (XVIIe) au siècle des Lumières (XVIIIe) :
- le règne de la raison en lieu et place de l'obscurantisme religieux ;
- la quête de l'autonomie individuelle à l'égard des déterminismes sociaux ;
- la maîtrise technique de la nature au lieu de la soumission des humains aux aléas d'un ordre naturel ;
- une communauté de citoyens liée par un contrat social et non par une autorité despotique ;
- les droits de l'homme et les libertés publiques ;
- l'idée d'une histoire ouverte à l'action humaine et donc au progrès ;
- la démocratie, c'est à dire l'égalité des individus et la souveraineté du peuple pour définir les modalités du vivre ensemble.
Pour le dire en raccourci, c'était là une promesse d'émancipation et de progrès pour tous les êtres humains, grâce à la connaissance, à l'égale liberté et à la loi démocratique."
Extrait du livre de Jacques Généreux - La Grande Régression - Seuil.
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